10/02/2013

Commentaire sur l'article de Yann Kindo (ou l'inné, l'acquis, et l'étrange logique française)

(C'est un article que je reposterai peut-être sur mon nouveau blog politique)

Yann Kindo a récemment écrit un article, lui-même la réponse à un article de Michael Shermer, sur les idées pseudo-scientifiques à gauche de l'échiquier politique que ce soit aux Etats-Unis ou en France [3]. Je vous le recommande d'ailleurs, même si je ne suis pas marxiste contrairement à lui (Kindo).


D'ailleurs, je n'ai pas pu résister à la tentation de vous en commenter certains passages :

Après nous avoir présenté l'article de Shermer, il nous révèle (ou non) que les choses sont loin d'être simples en France aussi, y compris sur des sujets tels que l'évolution, le réchauffement climatique ou les cellules-souches. Voici ce qu'il nous dit par exemple sur l'évolution :

Là, j'ai pas de données précises comme l'enquête de Dominique Guillo évoquée dans le lien précédent, mais sans même remonter jusqu'à la crise lyssenkiste des années 1950, on sent bien chez pas mal de gens de gauche, même parfois étiquetés marxistes, des réticences  vis-à-vis du darwinisme, pour des raisons purement idéologiques (« oh ben non, quand même, ces histoires de concurrence pour la survie et de sélection naturelle, c'est pas cool »). Je me demande si, dans le cas français, ce n'est pas aggravé par l'influence du structuralisme et d'une pensée sociale non évolutionniste, qui pèse largement dans les rangs de la gauche –  je dis bien : « je me demande », je ne saurais ni le mesurer ni le prouver...

D'une part : cela montre bien que la droite conservatrice n'a pas le monopole du rejet des théories scientifiques parce qu'elles ne correspondraient pas à son idéologie. On voit également que la "naturalistic fallacy" (que Yann Kindo expose d'ailleurs lui-même vers la fin de son texte) et son opposé, la "moralistic fallacy", interviennent des deux côtés de l'échiquier (pour différentes raisons, toutefois). Ici, cette dernière consiste à dire que, puisque le darwinisme véhicule de mauvaises idées, alors il a forcément tort quelque part.

Concernant le structuralisme : pour le peu que j'en connais, son incapacité à envisager l'évolution des "lois d'association et de dissociation" est effectivement un défaut majeur ; et il a été beaucoup critiqué par Noam Chomsky par exemple. Et ses étranges héritiers que sont le post-structuralisme et la déconstruction (qui l'ont beaucoup critiqué également) se sont révélées être des impasses flagrantes de part leur manque de rigueur, voire leur caractère ouvertement anti-scientifique.

La gauche, à mon sens, mériterait davantage d'être sensibilisé aux apports les plus récents des théories des systèmes et de l'information, par exemple.

Il poursuit :


"Lorsque l'on parle psychologie, la gauche, tout particulièrement hexagonale, est encore profondément marquée par des conceptions préscientifiques voire antiscientifiques, dans le genre de la psychanalyse, et refuse généralement toute forme de « psychologie évolutionniste ». C'est ce que dit Shermer, en parlant des « créationnistes cognitifs », qu'il définit comme «  ceux qui acceptent le darwinisme pour le corps mais pas pour l'esprit ». Shermer a raison de souligner que la vison de l'esprit humain comme étant un pur produit d'une culture, une pure construction sociale, et non partiellement le fait d'un déterminisme biologique ou d'une sélection darwinienne, est une idée dominante à gauche, et probablement uniquement là. Je ne connais pas très bien le sujet, je ne suis pas sûr que la « psychologie évolutionniste » initiée par Steven Pinker ait abouti à des résultats vraiment convaincants. J'en sais rien, pour tout dire. Par contre, ce que je connais, de par mon expérience, c'est un refus à peu près général à gauche d'aborder ces phénomène sous un autre angle que la construction sociale. Ce qui est au moins partiellement anti-scientifique. Essayez en France  d'expliquer à quelqu'un de gauche qu'il y a quand même de bonnes chances pour  que les préférences sexuelles aient largement une origine biologique interprétable dans un cadre darwinien, et on vous regardera probablement d'un drôle d'air – les plus progressistes invoquant l'idée étrange d'un « choix » de l'individu, et les plus réacs encore marqués par le freudisme s'interrogeant par exemple sur le rôle d'une mère trop envahissante pour expliquer l'homosexualité masculine."


Ce passage est, de mon point de vue, tellement important qu'il me force à faire un aparté qui devait à l'origine constituer un article entier.

Ici, Yann Kindo a raison de souligner (tout en avouant son incompétence concernant la psychologie évolutionniste, ce qui est également mon cas, et à vrai dire, j'ai même des a priori négatifs à ce sujet) à quel point, en France, ce dogme du constructionnisme social - entendu comme la préférence pour les causes sociales - atteint des proportions carrément absurdes, et aboutit même à des types de raisonnements (lus y compris sur des forums, de la part de personnes relativement jeunes) qui seraient vus comme proprement aberrants à l'étranger, à la limite de la balle dans le pied.

Toutefois, il convient de souligner, d'après mon expérience personnelle, que ce "quelqu'un de gauche" sera aujourd'hui plus probablement un "intellectuel" établi qu'un électeur de gauche ou LGBT lambda, qui auront plus de chances de se foutre totalement de la question ou d'être moins stupides que leurs "élites" supposées, surtout si ce sont de jeunes progressistes peu politisés par ailleurs.*

A ce sujet, il est notoire qu'aux Etats-Unis, penser que l'homosexualité est un "choix" ou le résultat d'un apprentissage, est corrélé avec une moins grande acceptation de celle-ci, alors que ceux qui pensent que les homosexuels sont "nés comme ça" sont réputés plus ouverts.* [1]

Je me suis toujours demandé ce qui expliquait la prégnance grotesque de ce type de raisonnement en France ; il semblerait qu'il y ait d'une part, évidemment, l'influence de la psychanalyse et de son idée étonnante de "choix inconscient"; d'autre part, il semblerait que, contrairement aux Etats-Unis, les idées eugénistes n'aient pas vraiment disparu à droite, en tout cas si l'on en croit les déclarations de Nicolas Sarkozy en 2007 face à Michel Onfray, pour Philosophie magazine.

Rétrospectivement d'ailleurs, toute cette affaire a quelque chose d'assez bizarre : Michel Onfray rejette certes l'idée presque aberrante selon laquelle l'orientation sexuelle serait un choix**, mais dans ses mots d'alors, "on ne naît ni hétérosexuel, ni homosexuel, ni pédophile"  - ce qui est déjà assez ambigu comme rapprochement - et y voit quasi-exclusivement l'oeuvre de causes environnementales. C'est en réponse à cela que Sarkozy nous sort sa désormais célèbre tirade. Aussi étonnant que cela puisse paraître de ce côté-ci de l'Atlantique, la première partie de sa phrase aurait très bien pu être prononcée, aux Etats-Unis, par un défenseur de la pédophilie !

La réaction de la presse et des autres milieux politiques face à cette affaire a été à la fois exagérée, Nicolas Sarkozy ne déclarant pas explicitement qu'il faille appliquer des techniques eugéniques aux pédophiles ou aux suicidaires (!) - mais on était en pleine campagne présidentielle, si je me souviens bien - et est passé totalement à côté de l'essentiel. Pour paraphraser Comte Sponville qui parlait de Zemmour : "on condamne ses propos [...] mais on ne se pose pas la question de savoir si ce qu’il avance est vrai ou faux." Même ceux qui ont tenté de le faire, comme Axel Kahn, ont rajouté une couche d'idéologie par dessus en le faisant.

Il me semble important, dans ce contexte - et c'est une remarque plus générale -, de rappeler la distinction is/ought de David Hume : en d'autres termes, on ne peut pas tirer de conclusions quant à ce qui doit être, uniquement à partir de ce qui est. C'est une phrase qui est souvent mal interprétée : bien sûr qu'en pratique, des découvertes sur "ce qui est" ont des conséquences sur ce que l'on pense "devoir être". Mais tout dépend des principes éthico-politiques que l'on a adopté, et on pourra toujours en trouver qui seront insensibles à "ce qui est" connu.

D'où une autre chose, que je trouve très importante, à articuler avec le point précédent : le simple fait que l'on dise que X ait une cause signifie que l'on pourra éviter à X d'apparaître si l'on s'attaque à cette cause. Ainsi un vrai progressiste doit défendre la tolérance et l'acceptation envers X (tant que X ne pose pas de danger pour d'autres individus) quelque soit sa cause. Sinon, cela voudrait dire qu'il y a des causes pour lesquelles il serait impossible de défendre X.

Cela me fait également penser à une phrase de mon ancien prof de socio, pourtant très réputé dans son milieu (il pensait également que le fait d'être gaucher ou droitier était uniquement social, si je me souviens bien), qui trouvait cela "rassurant" si on découvrait que la couleur de la peau n'était pas d'origine génétique mais uniquement une différence superficielle. Encore un exemple de raisonnement que je trouve bizarre.

En l'état actuel des choses, cet état d'esprit, à force de ne voir le biologique que comme quelque chose de "sale" et créateur de hiérarchie, est donc totalement contre-productif et ne peut contribuer, par la suite d'un effet pervers, qu'à perpétuer la stigmatisation des différences biologiques ; quelque chose que je trouve particulièrement grave.

Pour cette raison, c'est aussi un frein à la diffusion d'idées authentiquement progressistes telles que la neurodiversité (mouvement d'acceptation des différences neurologiques et neurodéveloppementales, qui suppose, de part son nom-même, que certaines conditions psychiques soient d'origine biologique et non sociale, et qui s'appuie beaucoup sur les découvertes scientifiques).

Cet état d'esprit donne aussi l'impression que les psychanalystes sont, dans l'ensemble, bien intentionnés, mais sont "handicapés" à la fois par leur corporatisme, leur attitude anti-scientifique et, il faut le dire, des modes de raisonnement complètement aberrants. Qu'ils ne s'étonnent pas après d'être "mal compris" auprès des parents d'enfants autistes, aux modes de raisonnements plus "terre-à-terre", par exemple lorsqu'ils leur suggèrent que l'autisme serait un "choix" du sujet*** [2].

De façon générale, c'est vrai que là-dedans, il y a de claires réminiscences du lyssenkisme. Je cite Jean-Louis Racca :


A ce sujet, en 1977, dans un compte rendu de l’ouvrage de Dominique Lecourt qui venait de paraître, le biologiste communiste Ernest Kahane rappelait un argument déjà utilisé par les généticiens communistes anglais dans leur opposition à Lyssenko, celui qui consiste à dire que l’on ne voit pas très bien en quoi l’influence du milieu et l’hérédité de l’acquis seraient intrinsèquement parés de vertus plus « progressistes » que le déterminisme génétique :

« Si réellement intoxiqué que j’aie été par la propagande "mitchourinienne" à laquelle j’étais soumis, et celle à laquelle je me livrais, je n’avais jamais pu admettre, et de ce fait proclamer, que la génétique mendélienne conduisait au racisme. L’hérédité des caractères acquis, automatique ou occasionnelle, ne justifiait-elle pas au contraire la constitution d’une caste dans la classe ou dans l’ethnie, adaptée aux travaux, soit les plus nobles, soit les plus serviles ? La "grande loterie des chromosomes" n’entraînait-elle pas inversement, et en dépit de toutes les sélections des géniteurs, un brassage, avec retour à la masse et redistribution de tous les caractères inclus dans le patrimoine héréditaire de l’espèce ? ».

Après ce long aparté, on continue :

"Sur le réchauffement climatique, les choses sont très claires aux Etats-Unis, mais je n'ai pas l'impression qu'en France la question soit aussi « politisée » et corresponde à un quelconque clivage gauche/droite. J'ai le sentiment que ça ressemble plus à une querelle plus ou moins scientifique, même si on peut dire qu'après débat elle a été tranchée par l'Académie en faveur des partisans du GIEC et au détriment de Allègre et Courtillot, qui m'ont l'air très marginalisés du fait des (respectivement) trucages ou grossières erreurs de leurs publications. Mais je ne vois pas vraiment de « climatoscepticisme de droite » actif en France, au moins dans la classe politique, et un auteur « climatosceptique » comme Benoît Rittaud m'a l'air d'être motivé par des considérations épistémologiques plutôt que politiques ou financières."

En fait, c'est un sujet tellement peu politisé qu'on en discute pas tant que ça, et du coup les milieux sceptiques (tels que l'AFIS, justement), de part leurs articles récurrents sur les OGM et le nucléaire, peuvent vraiment donner l'impression d'être à fond et idéologiquement anti-écolo, au point parfois de susciter des alliances contre-nature (?) avec les soi-disant "climato-sceptiques" - voir les billets complaisants de Jean Günther à une certaine époque.

Cela dit, ce n'est pas parce qu'on ne voit pas cette politisation (à droite) en France, qu'elle n'existe pas : Claude Allègre s'est par exemple rapproché de l'UMP à partir de 2009 - au point de voter Sarkozy en 2012 -, et je ne pense pas que ça soit purement une coïncidence ; de plus, la plupart des auteurs "climato-sceptiques", soit, sont ouvertement ultralibéraux/"libertariens", soit s'entendent bien avec eux et ne voient pas d'objections à être repris par eux. En outre, le sinistre Club de l'Horloge est notoirement "climato-sceptique".

Mais je pense effectivement que cette situation particulière explique le fait que les sceptiques américains paraissent, en moyenne, un peu plus "écolo" que leurs homologues français, pour peu qu'ils ne soient pas "libertariens".


Sur la question des cellules-souches, Yann Kindo a raison de souligner que la situation est loin d'être meilleure en France, à cause de la timidité des organisations de gauche traditionnelles sur tout ce qui concerne la bioéthique (même si je ne vois pas le rapport avec la bourgeoisie ; sinon, c'est un point qui était déjà souligné par Daniel Borrillo). En revanche, lorsqu'il écrit :

"Dans un domaine proche,  les invocations permanentes du risque d'eugénisme à propos du développement des diagnostics prénataux, même si ils sont le fait de gauchistes défenseurs de la « « Science Citoyenne », rappellent les cris d'orfraie des opposants à l'avortement."

il fait référence à une question complexe, qu'on ne peut pas balayer d'un simple revers de main sous prétexte que ça "rappelle les cris d'orfraie des opposants à l'avortement". J'écrirais peut-être un article dessus d'ailleurs, pour clarifier ma position sur ce sujet. Dans le même ordre d'idées, je ne suis pas aussi radical que lui dans son rejet du principe de précaution, qu'il juge "intrinsèquement conservateur". Il peut effectivement poser problème dans certains cas, notamment à cause de certaines interprétations abusives (dans tous les sens du terme), mais je le juge trop correct pour me voir l'abandonner entièrement ; je le vois comme la simple application du fait qu'il faille faire des études et des recherches concernant les nouvelles innovations, si elles peuvent potentiellement poser de graves problèmes pour la santé et/ou l'environnement. C'est d'ailleurs, à mon avis, au nom d'une variante de ce principe que la HAS a condamné le packing en 2012, alors qu'il n'y avait en réalité pas beaucoup de recherches à ce sujet. 

De même, pour le nucléaire et les OGM, le fait qu'il y ait de mauvais arguments, de mauvaises études et des discours stéréotypés ne signifie pas que les choses soient si simples ; il restera toujours une part de normatif concernant les risques environnementaux que l'on est prêt à assumer. Mais on a raison, malgré tout, de dénoncer les dérives réactionnaires d'une certaine "gauche radicale" qui, bizarrement (ou non ?), se met de plus en plus à fonctionner sur le mode de la nostalgie, proche ou lointaine... Il s'agit donc plus que jamais de remettre la gauche sur les bons rails, sans quoi elle n'aura plus rien de neuf à proposer.



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* A ce sujet, la chanson Born this way de Lady Gaga a eu un certain succès en France, et on peut l'entendre encore aujourd'hui dans des Gay Prides, malgré son décalage manifeste avec nos modes de raisonnement les plus courants. Notez toutefois que les plus laïcs préféreront Evolved this way.

** La raison pour laquelle je trouve cette idée aberrante est, non seulement que je suis un déterministe crypto-spinoziste qui ne croit pas fondamentalement au choix, mais aussi que, s'il faut définir le choix, celui-ci doit être une décision consciente dont il est possible d'estimer les conséquences et sur laquelle il est éventuellement possible de revenir. De toute évidence, le fait de préférer le même sexe ne peut ainsi pas être un choix, en tout cas dans l'absolu.

*** Le raisonnement dans ses grandes lignes, est le même que précédemment. (**)

[1] on peut citer http://en.wikipedia.org/wiki/Biology_and_sexual_orientation#Political_aspects ; il faudrait par ailleurs que je retrouve ce papier universitaire qui suggère spécifiquement cela, même s'il me semble que c'est cet article-là : http://poq.oxfordjournals.org/content/early/2012/12/20/poq.nfs049.abstract, que je ne peux malheureusement plus lire.

[2] L'expression-même de cette idée a créé un tollé général lors d'une réunion de psychanalystes en Bretagne, où des parents d'enfants autistes étaient présents dans la salle.

[3] Il convient toutefois de replacer l'article de Michael Shermer dans son contexte d'origine. D'ailleurs, il peut être intéressant de lire les réponses qu'y ont apportées PZ Myers et Rebecca Watson - bien qu'elles soient critiquables, certes - pour appréhender un peu mieux la véritable situation américaine sur ces sujets.

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