09/07/2013

Introduction aux études sur le genre - Chapitre 1 - Sexe et Genre

Après l'introduction, nous embrayons enfin sur le premier chapitre, intitulé Sexe et Genre.

Celui-ci aborde, tout d'abord - cela peut sembler évident - , la question de la construction du concept de genre, c'est-à-dire du genre comme sexe social, puis du genre comme rapport social et diviseur.

Le genre comme sexe social consiste, grossièrement, à voir le genre comme le sexe perçu et attribué comme tel par la société.

Le genre comme rapport social et diviseur voit le genre comme étant, plus ou moins, un synonyme de patriarcat. A ce sujet, je comprends le concept de patriarcat qui est exposé dans ce chapitre (il est entendu ici comme domination du père sur les membres de la famille, ce qui est un peu spécial, et différent de ce à quoi je pensais, c'est-à-dire simplement la domination statistique des hommes sur les femmes pour les positions de pouvoir), et je ne le vois évidemment pas comme une chose positive, mais est-il vraiment possible de l'abolir en tous lieux sans une forme d'immixtion totalitaire ?
La question n'est pas anodine, car elle a déjà des antécédents avec la vision du capitalisme selon Marx (et l'on sait les parallèles qui ont été faits entre le féminisme matérialiste et la théorie marxiste), ou encore les imprécations de George Orwell, dans des livres tels que Animal Farm ou 1984 (l'importance donnée au rôle du langage dans les théories féministes a donné lieu à des accusations de novlangue, d'ailleurs). On a d'ailleurs parlé au sujet du système soviétique, de capitalisme d'Etat ; cela montre que certaines théories féministes correspondent un peu à la caricature qu'on s'en fait parfois, notamment l'accusation de misandrie...

La deuxième partie évoque la question du sexe d'un point de vue biologique, et montre que les choses sont loin d'être claires, notamment à cause de l'existence d'intersexes.

Sans trop en révéler, le passage sur les intersexes est très parlant. La situation des intersexes est effectivement terrible, dans de nombreux cas (et ce, pour les mêmes raisons que l'affaire Reimer me choque). Je ne savais pas qu'en la matière, les décisions chirurgicales fonctionnaient autant au cas par cas, suivant des critères aussi arbitraires. Dans un monde bien organisé, les intersexes ne devraient pas connaître d'opérations de "réassignation". Mais la société dans son ensemble ne leur a prévu de place et n'est pas capable de les penser. L'idéal serait que les parents élèvent leurs enfants intersexes comme ils l'entendent, quitte à ce que plus tard, ceux-ci puissent changer de genre à l'âge adulte et que ce choix soit respecté, mais en limitant au maximum la nécessité d'opérations.

Concernant les critiques plus générales concernant la notion de sexe biologique, je pense que le caractère plus ou moins arbitraire des catégories et classifications biologiques est un fait qui n'est remis en cause par personne, en tout cas chez les biologistes compétents ; doit-on arrêter de faire de la taxonomie sous prétexte que les frontières entre espèces peuvent être floues, par exemple que les lions et les tigresses peuvent concevoir ensemble de grands ligres ? Le sexe n'est qu'un outil conceptuel, fondé sur une combinaison de facteurs chromosomiques, génétiques et phénotypiques, avec par exemple l'espèce ou d'autres conditions (stérilité, etc...) pour penser la reproduction biologique.
Oui, les catégories peuvent être arbitraires, mais sans elles, on ne peut pas établir scientifiquement de caractéristiques propres, en moyenne, à un groupe, et cela constitue un frein à la connaissance. Par exemple, ce sont les femmes qui peuvent être enceintes et ont des seins pour allaiter leurs enfants. On est d'accord, c'est sans doute à cause de ce fait que les générations précédentes en ont déduit, à tort ou à raison, qu'elles étaient, dans l'absolu, plus aptes à s'occuper des enfants, passés leurs premiers mois...

Quand à l'idée que le genre précéderait le sexe, elle pose problème, pour les raisons évoquées précédemment, mais aussi quand on a gardé comme moi une vision assez bottom-up et quasi-positiviste de la science, dans laquelle la physique détermine la chimie qui détermine la biologie, qui détermine au moins des aspects minimaux de la psychologie, etc... Autre question : si le genre précède le sexe, alors d'où vient le genre ? Le livre n'est guère explicite à ce sujet. Au contraire, si l'on part de l'idée qu'il faille d'abord remarquer des différences avant de construire des catégories autour et de leur accorder un traitement différent, alors le réel (qui est un continuum) précède le sexe, qui précède le genre. A moins que j'aie mal compris ce dont il s'agissait.

La prochaine partie parle de "défaire le genre". Reviennent alors mes critiques sur le concept de patriarcat et son usage par certain-e-s féministes.

A ce sujet, le "lesbianisme radical" à la Monique Wittig serait considéré aujourd'hui comme une caricature de féminisme, et ferait mieux de rester dans les poubelles de l'histoire du féminisme et du mouvement LGBT. Rassurez-vous toutefois, c'était déjà au moins partiellement souligné même à l'époque, comme le précise l'ouvrage juste après.

Concernant la question des transsexuels, le livre a raison de souligner que certaines théories féministes "radicales", principalement essentialistes, à cause d'un attachement à une conception sacrée de la féminité et, il faut le dire, une certaine misandrie à peine dissimulée, ont pu déboucher sur une véritable légitimation de la transphobie, qui a encore bel et bien encore lieu dans certains milieux.

De mon point de vue, d'une autre façon, la question des transsexuels peut aussi être perçue (paradoxalement, à première vue) comme une réfutation de la "feuille blanche" : on peut en effet les voir comme des personnes avec le corps appartenant à un sexe donné mais dont l' "esprit" s'identifie à l'autre sexe, et il semblerait que ce soit surtout pour des raisons biologiques. C'est une façon assez simple, peut-être simpliste certes, de concevoir la question des transsexuels ; mais les études de genre, pour sauver l'idée du constructivisme social, vont opter pour une approche beaucoup plus alambiquée, que je ne détaillerai pas ici.

Le dernier passage du chapitre évoque la théorie queer. La présentation qui en est faite, assez neutre en fait, ne m'a pas vraiment aidé à voir d'un jour positif cette discipline, dont les influences sont très clairement et nettement post-modernes (ce qui n'est jamais bon signe, selon moi). Elle donne vraiment l'impression d'être élitiste, engluée dans ses contradictions, déconnectée de la réalité (parfois dangereusement ; elle sert parfois d'épouvantail utile, voire idéal, pour une partie de la droite conservatrice, et pour de bonnes raisons) et de ses modes de raisonnements les plus courants. J'ai cru comprendre qu'elle était considérée par de nombreux LGBT eux-mêmes comme une nouvelle forme de dépravation de diptères.

Un autre point que je trouve gênant est le fait, systématique, de penser l'homosexualité comme un "choix d'objet" (terme d'origine psychanalytique ; certes, ce n'est pas un "choix" au sens de libre arbitre, mais ça peut prêter à confusion...), sans jamais considérer de facteurs biologiques possibles, mais bon ce n'est guère étonnant lorsqu'on se place dans une optique de constructivisme social.

En résumé, on a là un chapitre très intéressant, une belle entrée en matière, qui aborde à lui seul de nombreuses thématiques liées au genre et peut aussi considérablement stimuler la réflexion.



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