31/08/2013

Nouvelle lettre ouverte, nouveau commentaire

Avec beaucoup de retard sur le planning (cela fait presque quatre mois maintenant que le troisième plan autisme a été entériné), c'est avec appréhension que je découvre qu'une nouvelle lettre ouverte adressée à la ministre en charge des personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, a été publiée sur un blog de psychanalyste. Sa particularité est d'être ouvertement pro-psychanalytique (les autres lettres dénonçaient ce qui était perçu comme des limitations dans le choix des méthodes, mais ne remettaient pas en cause directement le dépistage précoce, par exemple).
Ce sera l'occasion de déconstruire encore une fois le genre de discours véhiculé dans ce texte. En effet, à première vue, celui-ci semble s'appuyer sur une pensée pleine de bonnes intentions, mais aussi dangereusement en avance sur son temps et quelque peu déconnectée vis-à-vis de la réalité, notamment des aspirations légitimes de la majorité de la population ; une pensée d'extrême-gauche, en quelque sorte. Mais une analyse plus poussée montrera qu'il n'en est rien, en réalité.

Il est en effet à noter que ce texte semble se situer dans une logique de dénonciation de la normativité ; ce n'est pas forcément négatif en soi, mais c'est un point important, car la façon dont les psychanalystes parlent de l'autisme est souvent incohérente d'un texte à l'autre, voire au sein d'une même phrase. Ce n'est pas une exagération : certains psychanalystes parlent de l'autisme comme d'une maladie et prétendent qu'ils ont réussi à "guérir" des autistes, quand d'autres disent qu'il faut laisser faire - mais dans ce cas, parler de "soin psychique" devient une expression totalement vide de sens pour désigner une forme d' "accompagnement" qui peut être hautement préjudiciable. C'est ce genre d'incohérence rhétorique qui pose problème.

Bref, commençons l'analyse du texte :

Madame Marie-Arlette Carlotti,Je vous écris en ma fonction de psychologue clinicienne travaillant auprès d’enfants autistes au sein d’un institut médico-éducatif. J’ai lu votre Troisième Plan Autisme (2013-2017) et j’en ressors choquée et heurtée de découvrir la conception, au-delà de l’autisme, de l’être humain et de son appréhension, qui est développée au travers de ces pages. Un être humain qui est uniquement appréhendé sur un versant biologique et cognitif et que l’on ambitionne, à coup de « prise en charge précoce et intensive », via des « remédiations cognitives » et autres techniques cognitivo-comportementales de lisser et de formater afin qu’il devienne un bon petit humain bien adapté socialement.[...]

On retrouve ce bon vieux cliché, c'est-à-dire ce sentiment irrationnel de dégoût et de terreur sacrée qu'inspire au scientifique social français la moindre référence à la biologie ou à la génétique, et que l'on retrouvera dans le reste du texte. On objectera peut-être que la véritable raison de ce sentiment a pour origine les querelles de chapelle concernant les causes de l'autisme ; mais en même temps, je sais d'expérience que c'est un sentiment plus général et partagé dans ce milieu, donc le doute est permis, et il n'est pas impossible qu'il s'agisse ici d'un rejet sincère de ces disciplines.
Peu importe le fait que, par exemple, le concept de neurodiversité s'appuie fortement sur la dimension biologique de l'être humain pour justement promouvoir l'acceptation des personnes autistes ! Il faut dire que ce mouvement vient d'autistes eux-mêmes et entre en contradiction avec la tordue logique psychanalytique (voir plus bas, pour une explication)...

 A aucun moment il n’est mentionné l’intérêt, le souci pour le vécu psychique des enfants autistes, pour la recherche de leur bien-être à eux. Je souligne, « à eux », car l’orientation qui consiste à appréhender et à traiter l’enfant autiste via ses « troubles envahissants » est à l’inverse d’une recherche de leur bien-être. Faire disparaître lesdits « troubles » rend une personne, fréquentable car socialement adaptée, certes, elle répond aux attentes de l’Autre et tout va bien, dans le meilleur des mondes. En tant que professionnelle de terrain, je constate que ce que certains nomment troubles sont en fait des symptômes que l’on se doit d’accueillir, d’entendre : ils valent comme parole d’un sujet qui exprime un mal-être dans son rapport à l’Autre, à l’environnement, à son corps, comme l’enseigne la psychanalyse. Interpréter ces manifestations comme des symptômes est la première étape où l’on reconnait l’enfant autiste comme une personne ayant des émotions, des peurs, des angoisses, et non comme un robot-humain dont le système de connexion neuronale devrait être remanié car générateur d’erreur.

Ce paragraphe est probablement l'expression la plus pure de l'obscurantisme psychanalytique. Il consiste en gros à dire : "la psychanalyse a raison, c'est écrit dans mon texte sacré". Il témoigne d'une ignorance impardonnable envers ce qu'est concrètement l'autisme, tel que décrit aussi bien par les scientifiques que par les autistes eux-mêmes. L'autisme comprend en effet une forte composante sensorielle, qui ne peut être expliquée par le seul "rapport à l'Autre". De plus, on ne passe pas logiquement de "système de connexion neuronale" à "devrait être remanié car générateur d'erreur".

Cette attitude obscurantiste se retrouve dans toute la partie I, parfois de façon grotesque. Elle consiste à dire de façon voilée que les TCC ont tort, que la psychanalyse a raison, sans jamais présenter d'arguments convaincants en faveur de cette dernière. On trouve également cette perle :

[À ce propos, savez-vous que même dans l’agriculture, la culture intensive des fruits et légumes est remise en question?]

Hors sujet, mauvaise analogie.

La partie II est beaucoup plus courte et, sans même juger de sa véracité, repose toute entière sur l'argumentum ad capitalismum, chéri des pseudoscientifiques d'extrême-gauche, qui consiste grossièrement à dire "c'est commercial, donc c'est mauvais".

La partie III est tout aussi courte, c'est un classique d'argumentation psychanalytique pinailleuse, voire hors sujet, comme on en a vu ailleurs ; je passe.

La partie IV, bien que répétant les mêmes erreurs que les autres, est plus intéressante, mais il faut me laisser le temps de développer mon argumentation :

En ce qui me concerne, et cela se reflète dans d'autres articles de ce blog, je suis tout à fait libéral/libertaire/progressiste sur les questions de société - on ne devrait pas stigmatiser les gens parce qu'ils ont des pratiques qui ne rentrent pas dans la norme, tant qu'ils ne font de mal à personne, par exemple - mais je ne suis pas un libertaire naïf (stupide serait peut-être un terme plus approprié). J'entends par libertarisme naïf toute tendance qui vise à nier l'importance de valeurs communes pour vivre en société, et n'intègre pas la question du regard des "autres", de la "majorité normale", dans son raisonnement ; ceux-ci sont toujours ramenés à des individus pleins de préjugés qui n'acceptent pas la différence, alors qu'ils sont souvent juste ignorants et légitimement surpris par celle-ci, car c'est leur socialisation qui le veut ainsi. Eviter cet écueil du libertarisme naïf permet de mieux comprendre toute l'importance que revêt l'éducation. Celle-ci est ce qui permet d'acquérir des valeurs communes, de vivre ensemble, avec les autres, de ne pas être mis à l'écart, et aussi de s'ouvrir sur le monde pour se débarrasser de ses préjugés, idée qui devrait normalement parler à tout homme de gauche qui se respecte.
Paradoxalement à première vue, ce libertarisme naïf est donc le plus précieux allié d'une certaine forme de pensée droitière, comme vous allez le comprendre ci-après.

Car cette partie, de façon sincère ou non, tombe complètement dans le piège du libertarisme naïf. Sa conclusion est inacceptable. Refuser l'éducation d'enfants parce qu'on les considère comme inaptes ou manquant de volonté, c'est une pensée défaitiste, de droite, voire d'extrême-droite ; même le psychanalyste Alain Gillis s'en est rendu compte, et lorsque le Parti de Gauche a soutenu ce genre de discours dans un communiqué, il n'a fait que piétiner ses propres valeurs de gauche affichées. Sous couvert de rhétorique zozo pseudo-libertaire, ce genre de lettre ouverte véhicule des idées profondément anti-républicaines.

Evidemment, tout cela est drapé dans un langage rempli de bonnes intentions, c'est moi-même qui le reconnaît, et on y trouve même des idées qui ne sont pas fondamentalement mauvaises en soi ; mais elles sont soutenues par une logique psychanalytique fautive et absurde, comme l'idée selon laquelle l'autisme serait un "choix du sujet"...

La partie V n'est qu'un récapitulatif, particulièrement peu convaincant en tant que tel.

Dans l'ensemble, il se dégage du texte un parfum tellement corporatiste que celui-ci ne se distingue que peu des lettres ouvertes précédentes, si ce n'est peut-être par son caractère outrancièrement pro-psychanalytique, extrémiste ou caricatural, qui le rend encore moins convaincant. La ligne de défense de certaines des précédentes lettres était que l'on reconnaissait les nouvelles avancées concernant l'autisme, que la psychanalyse n'était, en fin de compte, plus tellement pratiquée, et que c'était surtout la "liberté de choix" qui était menacée ; a contrario, cette nouvelle lettre se complaît allègrement dans son obscurantisme, à tel point que la réputation de la psychanalyse ne peut qu'en sortir encore affaiblie.

Il serait peut-être temps que les psychanalystes se rendent enfin compte de la fracture sociale qui les sépare du reste de la population, qu'ils se rendent compte également qu'ils ne pensent pas comme le reste du commun des mortels et que ce fait mérite un nom, la logique psychanalytique, qu'ils soient davantage pédagogues dans l'expression de leur point de vue, sans quoi ils seront condamnés à disparaître... Enfin bon, ai-je un intérêt à leur faire ce genre de suggestions ?

En tout cas, que Marie-Arlette Carlotti ne se décourage pas : même si le troisième plan autisme reste encore très imparfait sur de nombreux points, les usagers ont toujours l'intention de le défendre, puisqu'à ce jour, la pétition pour défendre ses orientations a réuni près de 13000 signatures, ce qui est beaucoup plus que les pétitions de psychanalystes demandant son retrait. Ce qui n'empêche qu'il faille toujours soutenir et faire circuler cette pétition, bien entendu...

22/08/2013

Concernant certains arguments autour de l'homosexualité

Aux Etats-Unis, il est admis que penser que l'homosexualité est une caractéristique innée est corrélée avec une plus grande acceptation de celle-ci, tandis que penser qu'il s'agit d'un choix ou d'un apprentissage est corrélé avec une moins grande acceptation de celle-ci. Ce sondage est très éloquent : non seulement ceux qui pensent qu'il s'agit d'une caractéristique innée sont plus progressistes, mais l'acceptation de l'homosexualité a progressé en même temps que l'idée selon laquelle il s'agit d'une caractéristique innée.

En France, la situation n'est peut-être pas comparable : beaucoup en effet dans le milieu des sciences sociales refusent de s'intéresser aux recherches sur la biologie de l'homosexualité et même les rejettent, carrément. (un exemple ici). Leur position, à vrai dire, n'est pas toujours très claire : certains semblent accepter l'idée d'une base biologique mais rejettent les recherches à ce sujet, quand d'autres semblent complètement rejeter l'idée qu'il puisse y avoir une base biologique. Il existe plusieurs explications à apporter à ce phénomène : importance historique de la psychanalyse, du post-modernisme à la Foucault, d'une interprétation rigide de l'universalisme républicain (y compris de ses aspects hypocrites), cohérence avec le reste du cadre conceptuel des études sur le genre, etc...

Je comprends tout à fait que l'on puisse se sentir gêné par ces recherches, et il y a une critique qui est tout à fait recevable, celle concernant le risque d'eugénisme ; mais elle se base sur le postulat que d'une part, à l'avenir, l'homosexualité serait toujours vue comme quelque chose de négatif et d'indésirable au point qu'on désire l'éliminer, d'autre part que l'on engagera jamais de débat concernant la légalité de certains diagnostics pré-nataux. D'ailleurs, ceux qui critiquent les recherches sur la biologie de l'homosexualité la comparent toujours à quelque chose de négatif (la bêtise, la criminalité, etc...), ce qui à mon avis en dit beaucoup sur la prégnance de modes de raisonnement inadaptés et sur les procès d'intention à l'égard des biologistes qui s'intéressent à la question ; si l'homosexualité n'est pas quelque chose de négatif, alors pourquoi s'inquiéter des recherches sur la biologie de celle-ci ? D'autant plus qu'on ne pourra jamais vraiment empêcher ces recherches d'avoir lieu, et au pire, elles pourraient tomber entre de vraies mauvaises mains...

En ce qui me concerne, je penche plutôt pour l'origine innée de l'homosexualité ; mais je suis aussi un fervent partisan de la loi de Hume, ce qui signifie que je défendrai les homosexuels même s'il était prouvé qu'il s'agissait d'un caractère acquis ou même d'un choix, même si c'est très peu probable. Néanmoins, je ne pense pas, à vrai dire, que ce soit entièrement inné, juste en majeure partie. Mais la raison qui me fait pencher du côté inné est principalement l'échec des théories par la socialisation à expliquer la persistance dans toute la population - y compris dans les sociétés les plus homophobes qui soient, où c'est fortement découragé - de 2 à 10 % de personnes plus ou moins homosexuelles ou transgenres. Elles échouent clairement en ce qui concerne le rasoir d'Occam, voire dans certains cas concernant leur réfutabilité au sens de Popper.

Mes efforts vont donc se concentrer sur les arguments de ceux qui, que ce soit parmi les LGBT ou dans le milieu des sciences sociales en France ou ailleurs, rejettent les recherches sur les origines biologiques de l'homosexualité et pensent que l'idée selon laquelle chacun à la naissance a le potentiel d'être hétérosexuel ou homosexuel ferait davantage progresser l'acceptation de l'homosexualité, et qu'on ne naît ni hétérosexuel, ni homosexuel (bien que l'homosexualité ne soit pas un choix au sens du libre arbitre).*

Je trouve cette idée à la fois extrêmement naïve et complètement à côté de la plaque, quand on connaît le discours homophobe tel qu'il est en pratique, qu'il émane de Vanneste ou de Boutin, d'origine chrétienne et anti-avortement.

Pour comprendre ce qui ne va pas là-dedans, jouons le jeu, et remplaçons le terme "homosexuel" dans la phrase "Chacun a le potentiel d'être homosexuel" par quelque chose de clairement négatif : "Chacun a le potentiel d'être criminel". On voit tout de suite ce qui cloche, maintenant. Loin de faire progresser l'acceptation de l'homosexualité, cette idée aurait plutôt pour effet de renforcer le fait de voir celle-ci, sinon comme un péché, du moins comme une faiblesse de la Nature humaine, qui doit être découragée par les institutions et le système social pour assurer le renouvellement de l'espèce. De plus, ce genre d'idée qui affirme que nous sommes tous bisexuels et qu'une partie de notre nature est refoulée, ne dérange pas tant que ça les homophobes en réalité. Enfin si, cela les dérange, bien sûr, mais justement ils savent que ça les dérange et donc on ne leur apprend rien de nouveau. De nos jours, les homophobes sont davantage dérangés par l'idée que l'homosexualité serait innée et biologique ; car si c'est le cas, alors l'homosexualité est inévitable, elle ne s' "apprend" pas, les homosexuels resteront toujours une minorité et ne menacent donc pas la reproduction de l'espèce. C'est un point qui peut expliquer aussi pourquoi ils sont gênés par les études de genre ; c'est parce qu'elles ne sont pas si éloignées de leur conception du monde, sauf qu'ils en tirent des conclusions différentes, portant sur la fragilité de l'ordre social...

L'idée de la bisexualité psychique est aussi une idée qui est à double tranchant, car elle sous-entend que les homos ont eu le potentiel pour être hétéros. Ce genre d'idée d'inspiration psychanalytique serait plutôt du genre à augmenter la pression sur les parents, ou à rechercher des coupables pour l'homosexualité de ses enfants.

N'est pas meilleure l'idée selon laquelle on ne naît pas hétérosexuel ; elle serait plutôt du genre à renforcer l'idée selon laquelle si on devient hétéro c'est que, quelque part, on l'a "mérité". A l'inverse, si l'on naît hétérosexuel, alors il ne devrait y avoir aucune gloire à tirer de ce fait, dans un pays républicain comme le nôtre qui prétend refuser de reconnaître les inégalités dues à la naissance.

On voit ici que les explications à la Clerget et autres sont contre-productives et non-nécessaires, vont contre l'intérêt et le sentiment de nombreux LGBT, et que ce n'est jamais bon de voir qu'elle doivent subir de multiples contorsions discursives et intellectuelles pour rendre cela compatible avec un programme progressiste, alors qu'elles ne font pas mieux que des théories penchant pour une origine innée.

Alors, pourquoi les défendre ? J'avais émis l'hypothèse qu'il existe, en France, dans certains milieux, une peur exagérée et déraisonnable vis-à-vis de tout ce qui touche à la biologie et à la génétique, ce qui semble être vrai : il suffit de lire de nombreux livres, mais aussi posts de blog d'info et de forums concernant ces questions pour s'en convaincre. Mais il semblerait qu'il y ait aussi des explications plus simples, liées aux querelles de chapelles, c'est-à-dire dire "c'est moi qui ai raison, les autres ont tort", partir d'idées toutes faites, paternalistes et franchement fausses concernant les revendications LGBT, et éventuellement ramener les homos dans les cabinets des psys. On voit également une peur de l' "essentialisme" : à ce sujet, est-ce que c'est essentialiste de dire que les femmes ont un vagin ? Est-ce que c'est essentialiste de dire que les Noirs ont la peau noire ? Certains diront oui, certes, mais pour des raisons de commodité, je ne les rejoindrai pas. Cela entre dans le cadre de ce que Pinker appelle la peur de l'inégalité, qui atteint décidément en France des proportions démesurées et absurdes (habituellement, elle porte sur des traits négatifs, pas sur des traits neutres !).

Il me paraît utile de préciser que les pionniers des droits LGBT (Magnus Hirschfeld, etc...) penchaient pour une origine biologique de celle-ci ; certes, son idée selon laquelle les homos constitueraient un troisième sexe sonne ringarde aujourd'hui, de même que certains autres de ses concepts. Mais force est de constater qu'il se situerait à l'exact opposé de ceux qui, aujourd'hui, refusent et rejettent les recherches à ce sujet. N'oublions pas sa devise, d'ailleurs : Per scientiam, ad iustitiam ! (Par la science, vers la justice !)

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* Le psychanalyste Stéphane Clerget défend cette idée ; je ne sais pas si ses travaux, avec une surreprésentation de la psychanalyse, ont été bien perçus ou reçus dans le monde anglo-saxon, où les explications biologiques sont plus populaires...

15/08/2013

The Blank Slate - Steven Pinker




The Blank Slate : The Modern Denial Of Human Nature (traduit en français sous le titre Comprendre la Nature humaine, publié aux éditions Odile Jacob) est un livre du psychologue évolutionniste américain Steven Pinker, qui se charge de critiquer certaines des théories utilisées dans les sciences sociales, notamment fondées sur la tabula rasa ou "feuille blanche" (c'est-à-dire l'idée que l'esprit humain naît sans traits innés) et également deux autres théories souvent liées, selon lui, qui sont le bon sauvage (l'idée que l'homme est naturellement bon et qu'il devient mauvais au contact de la société) d'une part et le fantôme dans la machine (l'idée que le corps et l'esprit sont séparés) d'autre part. Contre cela, Pinker défend l'idée que nous restons influencés par notre biologie et par nos gènes.

D'abord, quelques précisions : Steven Pinker, bien qu'étant psychologue évolutionniste, est loin de penser que tout, dans notre comportement, est dû seulement à la biologie, et il a même écrit un livre entier pour montrer que la diminution tendancielle de la violence au cours du temps n'était pas due à la génétique mais à des changements institutionnels profonds. Il se réjouit des progrès de la science par rapport aux idéologies simplistes du passé en rapport avec la Nature humaine. Il critique la "feuille blanche" et le "bon sauvage" avant tout parce que ce sont des théories extrêmes qui ne correspondent pas à la réalité.

Le livre est divisé en six parties ; tout d'abord, la première partie est consacrée à la présentation des trois thèses qu'attaque l'auteur, c'est-à-dire la "triade" constituée par la feuille blanche, le bon sauvage et le fantôme dans la machine, et à leur ascension dans la vie intellectuelle moderne.

La partie II s'occupe du défi posé par l'émergence d'une nouvelle vision de la nature humaine qui vient concurrencer les trois thèses de départs.

La partie III dénonce les quatre peurs, associées à la volonté de s'en tenir aux trois thèses de départ :

Il y a tout d'abord, la peur de l'inégalité : c'est-à-dire la peur que, si les inégalités sont naturelles, alors elles devraient être justifiées et insurmontables. En effet, les concepts de justice, d'équité (les individus valent la même chose) ne sont pas la même chose que l'identicité (les individus sont la même chose). Le problème est que le passage de l'un à l'autre n'est pas naturel. Même si on trouvait des différences moyennes intrinsèques entre des groupes, cela ne justifierait pas des discriminations collectives, affirme Pinker. En effet, nous sommes tous membres d'une même famille humaine. On retrouve l'idée de Hume selon laquelle le positif est distinct du normatif.

Ensuite, la peur de l'imperfectibilité : la peur que nos défauts seraient naturellement insurmontables, que nous serions viciés par nature, et que nous ne pourrions véritablement faire du monde un endroit meilleur. Là aussi, c'est une peur non fondée ; en effet, ce n'est pas parce que l'on a des motifs ignobles que l'on va se mettre à avoir un comportement ignoble, car le cerveau est un organe complexe dans lequel certaines parties peuvent contrecarrer d'autres.

La peur du déterminisme : la peur que le déterminisme biologique provoque une perte du sens de la responsabilité, que l'on ne puisse tenir quelqu'un responsable de ses actions. Mais Pinker appelle à redéfinir le concept-même de responsabilité : en réalité, on impose un certain nombre de facteurs externes (loi, réputation, punitions, récompense) qui viennent influencer le comportement des individus et sont mêmes des causes, indirectes certes, de ce comportement. On peut alors analyser cela dans le cerveau.

La peur du nihilisme : la peur que nous n'aurions plus de valeurs, de sens à notre existence, si tous nos sentiments peuvent être ramenés à une "stratégie" d'évolution. Il en existe une version religieuse et une version laïque. La version religieuse est critiquable parce qu'elle dévalorise la vie sur Terre. Concernant la version laïque, il ne faudrait pas confondre l'échelle du temps humain et celle du temps évolutionnaire.

La partie IV plaide pour une conception plus riche de la Nature humaine, davantage ancrée dans la connaissance de la réalité, en s'appuyant sur les biais de la perception humaine, mais contre le post-modernisme ; une conception qui s'appuie sur le "matériel de base" de la pensée humaine, qui nous permet de comprendre le monde autour de nous et de communiquer ; qui nous permette de repenser la frontière entre l'humain et le non-humain, entre la vie et la non-vie, entre le naturel et le non-naturel ; qui comprenne mieux et prenne mieux en compte notre sens moral et ce que nous percevons ou non comme moral.

La partie V s'occupe de questions chaudes et de controverses, concernant le genre, la violence, le genre, les enfants et les arts ; le dernier point peut sembler hors sujet, mais Pinker s'est rendu compte lors de ses recherches qu'il était en fait très controversé et lié à un certain nombre de questions importantes en esthétique.

La partie VI est une sorte de conclusion, qui reprend la critique en règle développée au cours de l'ouvrage.

Son idée tout au long de l'ouvrage est, grossièrement, de nous dire que les différences biologiques ne sont pas graves après tout : en effet, elles n'empêchent pas de mener une politique progressiste. Au contraire : si l'on se trouvait en situation d'égalité des chances parfaites, la "triade" appuierait davantage un raisonnement de type libéral. On apprend également qu'il est carrément dangereux de construire une conception du monde sur la "triade".

L'auteur nous montre par ailleurs des ponts de la biologie à la culture, qui d'après lui, sont au nombre de quatre :

en premier, les sciences cognitives ;

en second, les neurosciences : les sciences du cerveau ;

ensuite vient la génétique comportementale ;

enfin, la psychologie évolutionniste.

On peut dire pour paraphraser Freud, que les sciences cognitives constituent la véritable troisième "blessure narcissique", ici, d'une certaine façon.

En fait, le livre ne vise pas que les raisonnements associées aux sciences sociales "de gauche", mais aussi des idées d'inspiration religieuse, chrétienne voire créationniste. D'ailleurs, la peur du déterminisme et du nihilisme sont plutôt à trouver là, en général.

De même, l'idée de dualisme cartésien se trouve en général plutôt à droite (parce qu'elle permet de justifier la responsabilité individuelle), mais elle bénéficie d'une bienveillance de la part de nombreux intellectuels de gauche (en particulier du courant psychanalytique, même s'ils s'en défendent souvent). Un point intéressant à noter est que cette idée a été défendue par des personnalités relativement libérales pour leur époque, contre le matérialisme/mécanicisme de Hobbes et sa pensée politique autoritaire/conservatrice.

Steven Pinker met ici dos à dos la religion et les sciences sociales.



Quand on voit l'attitude de la psychanalyse par rapport à l'autisme, c'est exactement ça ! On y retrouve la feuille blanche (l'homme est formé par ses expériences de la petite enfance), le bon sauvage (l'homme naît bon et innocent, et c'est la société, en l'occurrence les expériences de la petite enfance, qui le rendent méchant), et le fantôme dans la machine (l'inconscient, déterminisme psychique immatériel).

De même, le comportementalisme et la génétique n'ont absolument rien à voir, malgré ce que nous disent certains psys... Ce qui est aussi intéressant, c'est que Pinker classe la pensée de B.F.Skinner dans la "feuille blanche" ! Ça se rejoint un peu donc, d'autant plus que cela fait longtemps que la psychologie scientifique moderne n'est plus comportementaliste au sens strict...

Pour conclure : alors certes, oui, le livre est caricatural (et encore, pas tant que ça, quand on connaît un peu le milieu des sciences sociales en France) oui, l'auteur accorde peut-être trop d'importance à la biologie et à la part d'inné - mais moins que je le pensais en lisant certaines critiques, toutefois. Reste qu'à mon sens, il est peut-être un peu trop complaisant vis-à-vis de la sociobiologie et du livre clairement raciste The Bell Curve. Mais son but est, avant tout, de critiquer des modes de raisonnement, et on peut dire qu'il réussit et qu'il atteint son objectif. N'ayant pas lu la traduction française, je ne sais pas ce qu'elle vaut, néanmoins je pense que ce livre mériterait largement d'être lu, parce qu'en France, il mérite largement un succès au moins aussi important que dans son pays d'origine.




14/08/2013

A tous celles et ceux qui prétendent défendre les enfants

A tous celles et ceux qui prétendent défendre les enfants :

en avez-vous jamais rencontré un-e, issu-e d'une de ces familles dont vous refusez de reconnaître l'existence ?
Si vous en croisez un-e et que vous lui posez la question, vous risquez fort d'être choqué-e-s par ce qu'il/elle vous répondrait, très probablement : que comme tout autre enfant, il/elle aime ses parents, ses mères ou ses pères, et qu'il/elle ne voudrait pour rien au monde les échanger.

Pourrez-vous le comprendre ? Pourrez-vous admettre qu'il existe des enfants qui sont heureux de pouvoir vivre dans de telles familles ?

La vérité est que vous n'en avez jamais vus.

Mettez donc vos convictions à l'épreuve. Vous verrez des familles si semblables aux vôtres, des femmes et des hommes, des pères et des mères qui, comme tous les autres parents, tentent d'élever leurs enfants de la meilleure façon possible.

Dans de telles conditions, face à de telles familles, face à tant d'enfants, face à des parents qui les aiment si fort, pouvez-vous vraiment prétendre parler pour eux tous ?


Dans une telle situation, demandez-vous alors plutôt ce que vous devriez faire à présent ; car quoi qu'il arrive, vous n'arriverez jamais à séparer ces enfants de leurs parents !