22/08/2013

Concernant certains arguments autour de l'homosexualité

Aux Etats-Unis, il est admis que penser que l'homosexualité est une caractéristique innée est corrélée avec une plus grande acceptation de celle-ci, tandis que penser qu'il s'agit d'un choix ou d'un apprentissage est corrélé avec une moins grande acceptation de celle-ci. Ce sondage est très éloquent : non seulement ceux qui pensent qu'il s'agit d'une caractéristique innée sont plus progressistes, mais l'acceptation de l'homosexualité a progressé en même temps que l'idée selon laquelle il s'agit d'une caractéristique innée.

En France, la situation n'est peut-être pas comparable : beaucoup en effet dans le milieu des sciences sociales refusent de s'intéresser aux recherches sur la biologie de l'homosexualité et même les rejettent, carrément. (un exemple ici). Leur position, à vrai dire, n'est pas toujours très claire : certains semblent accepter l'idée d'une base biologique mais rejettent les recherches à ce sujet, quand d'autres semblent complètement rejeter l'idée qu'il puisse y avoir une base biologique. Il existe plusieurs explications à apporter à ce phénomène : importance historique de la psychanalyse, du post-modernisme à la Foucault, d'une interprétation rigide de l'universalisme républicain (y compris de ses aspects hypocrites), cohérence avec le reste du cadre conceptuel des études sur le genre, etc...

Je comprends tout à fait que l'on puisse se sentir gêné par ces recherches, et il y a une critique qui est tout à fait recevable, celle concernant le risque d'eugénisme ; mais elle se base sur le postulat que d'une part, à l'avenir, l'homosexualité serait toujours vue comme quelque chose de négatif et d'indésirable au point qu'on désire l'éliminer, d'autre part que l'on engagera jamais de débat concernant la légalité de certains diagnostics pré-nataux. D'ailleurs, ceux qui critiquent les recherches sur la biologie de l'homosexualité la comparent toujours à quelque chose de négatif (la bêtise, la criminalité, etc...), ce qui à mon avis en dit beaucoup sur la prégnance de modes de raisonnement inadaptés et sur les procès d'intention à l'égard des biologistes qui s'intéressent à la question ; si l'homosexualité n'est pas quelque chose de négatif, alors pourquoi s'inquiéter des recherches sur la biologie de celle-ci ? D'autant plus qu'on ne pourra jamais vraiment empêcher ces recherches d'avoir lieu, et au pire, elles pourraient tomber entre de vraies mauvaises mains...

En ce qui me concerne, je penche plutôt pour l'origine innée de l'homosexualité ; mais je suis aussi un fervent partisan de la loi de Hume, ce qui signifie que je défendrai les homosexuels même s'il était prouvé qu'il s'agissait d'un caractère acquis ou même d'un choix, même si c'est très peu probable. Néanmoins, je ne pense pas, à vrai dire, que ce soit entièrement inné, juste en majeure partie. Mais la raison qui me fait pencher du côté inné est principalement l'échec des théories par la socialisation à expliquer la persistance dans toute la population - y compris dans les sociétés les plus homophobes qui soient, où c'est fortement découragé - de 2 à 10 % de personnes plus ou moins homosexuelles ou transgenres. Elles échouent clairement en ce qui concerne le rasoir d'Occam, voire dans certains cas concernant leur réfutabilité au sens de Popper.

Mes efforts vont donc se concentrer sur les arguments de ceux qui, que ce soit parmi les LGBT ou dans le milieu des sciences sociales en France ou ailleurs, rejettent les recherches sur les origines biologiques de l'homosexualité et pensent que l'idée selon laquelle chacun à la naissance a le potentiel d'être hétérosexuel ou homosexuel ferait davantage progresser l'acceptation de l'homosexualité, et qu'on ne naît ni hétérosexuel, ni homosexuel (bien que l'homosexualité ne soit pas un choix au sens du libre arbitre).*

Je trouve cette idée à la fois extrêmement naïve et complètement à côté de la plaque, quand on connaît le discours homophobe tel qu'il est en pratique, qu'il émane de Vanneste ou de Boutin, d'origine chrétienne et anti-avortement.

Pour comprendre ce qui ne va pas là-dedans, jouons le jeu, et remplaçons le terme "homosexuel" dans la phrase "Chacun a le potentiel d'être homosexuel" par quelque chose de clairement négatif : "Chacun a le potentiel d'être criminel". On voit tout de suite ce qui cloche, maintenant. Loin de faire progresser l'acceptation de l'homosexualité, cette idée aurait plutôt pour effet de renforcer le fait de voir celle-ci, sinon comme un péché, du moins comme une faiblesse de la Nature humaine, qui doit être découragée par les institutions et le système social pour assurer le renouvellement de l'espèce. De plus, ce genre d'idée qui affirme que nous sommes tous bisexuels et qu'une partie de notre nature est refoulée, ne dérange pas tant que ça les homophobes en réalité. Enfin si, cela les dérange, bien sûr, mais justement ils savent que ça les dérange et donc on ne leur apprend rien de nouveau. De nos jours, les homophobes sont davantage dérangés par l'idée que l'homosexualité serait innée et biologique ; car si c'est le cas, alors l'homosexualité est inévitable, elle ne s' "apprend" pas, les homosexuels resteront toujours une minorité et ne menacent donc pas la reproduction de l'espèce. C'est un point qui peut expliquer aussi pourquoi ils sont gênés par les études de genre ; c'est parce qu'elles ne sont pas si éloignées de leur conception du monde, sauf qu'ils en tirent des conclusions différentes, portant sur la fragilité de l'ordre social...

L'idée de la bisexualité psychique est aussi une idée qui est à double tranchant, car elle sous-entend que les homos ont eu le potentiel pour être hétéros. Ce genre d'idée d'inspiration psychanalytique serait plutôt du genre à augmenter la pression sur les parents, ou à rechercher des coupables pour l'homosexualité de ses enfants.

N'est pas meilleure l'idée selon laquelle on ne naît pas hétérosexuel ; elle serait plutôt du genre à renforcer l'idée selon laquelle si on devient hétéro c'est que, quelque part, on l'a "mérité". A l'inverse, si l'on naît hétérosexuel, alors il ne devrait y avoir aucune gloire à tirer de ce fait, dans un pays républicain comme le nôtre qui prétend refuser de reconnaître les inégalités dues à la naissance.

On voit ici que les explications à la Clerget et autres sont contre-productives et non-nécessaires, vont contre l'intérêt et le sentiment de nombreux LGBT, et que ce n'est jamais bon de voir qu'elle doivent subir de multiples contorsions discursives et intellectuelles pour rendre cela compatible avec un programme progressiste, alors qu'elles ne font pas mieux que des théories penchant pour une origine innée.

Alors, pourquoi les défendre ? J'avais émis l'hypothèse qu'il existe, en France, dans certains milieux, une peur exagérée et déraisonnable vis-à-vis de tout ce qui touche à la biologie et à la génétique, ce qui semble être vrai : il suffit de lire de nombreux livres, mais aussi posts de blog d'info et de forums concernant ces questions pour s'en convaincre. Mais il semblerait qu'il y ait aussi des explications plus simples, liées aux querelles de chapelles, c'est-à-dire dire "c'est moi qui ai raison, les autres ont tort", partir d'idées toutes faites, paternalistes et franchement fausses concernant les revendications LGBT, et éventuellement ramener les homos dans les cabinets des psys. On voit également une peur de l' "essentialisme" : à ce sujet, est-ce que c'est essentialiste de dire que les femmes ont un vagin ? Est-ce que c'est essentialiste de dire que les Noirs ont la peau noire ? Certains diront oui, certes, mais pour des raisons de commodité, je ne les rejoindrai pas. Cela entre dans le cadre de ce que Pinker appelle la peur de l'inégalité, qui atteint décidément en France des proportions démesurées et absurdes (habituellement, elle porte sur des traits négatifs, pas sur des traits neutres !).

Il me paraît utile de préciser que les pionniers des droits LGBT (Magnus Hirschfeld, etc...) penchaient pour une origine biologique de celle-ci ; certes, son idée selon laquelle les homos constitueraient un troisième sexe sonne ringarde aujourd'hui, de même que certains autres de ses concepts. Mais force est de constater qu'il se situerait à l'exact opposé de ceux qui, aujourd'hui, refusent et rejettent les recherches à ce sujet. N'oublions pas sa devise, d'ailleurs : Per scientiam, ad iustitiam ! (Par la science, vers la justice !)

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* Le psychanalyste Stéphane Clerget défend cette idée ; je ne sais pas si ses travaux, avec une surreprésentation de la psychanalyse, ont été bien perçus ou reçus dans le monde anglo-saxon, où les explications biologiques sont plus populaires...

10 commentaires:

  1. Très juste,
    Pourriez-vous, par-ailleurs, développer une piste qui expliquerait, entièrement ou en partie, l'orientation sexuelle.

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    1. Ce n'est pas mon rôle. Certains le font déjà très bien, par ailleurs. J'ai entendu dire que justement le livre de Jacques Balthazart, Biologie de l'homosexualité, était pas mal dans le genre. Bien sûr, le livre date de 2010 mais est déjà daté (à cause des découvertes en épigénétique) et il faut garder son sens critique, car l'auteur accorde peut-être pour le coup trop d'importance à la biologie (en plus de s'exprimer parfois maladroitement) mais ça reste intéressant...

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    2. Merci, pour la référence.

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  2. Un livre excellent sur le sujet (mais pas traduit en français):
    Wilson, G. D., & Rahman, Q. (2005). Born gay : the psychobiology of sex orientation. London ; Chester Springs [Pa.]: Peter Owen.

    Pour un accès direct aux sources, voici la biblio de mon cours sur le sujet:
    http://www.lscp.net/persons/ramus/fr/GDP1/index.html#sex

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  3. Un peu simpliste et partisan votre affaire.

    La psychanalyse ne culpabilise pas les parents. Peut être un de ses courants, il y a quelques dizaines d'années. C'est anecdotique pour décrire la position de la psychanalyse.

    Et que dire de ces parents qui, une fois qu'on leur dit "c'est génétique", se disent : "alors c'est de ma faute". La culpabilité n'est pas là ou l'on croit...

    Vos débats sur la peur de l'origine biologique de certains sont, me semble-t-il, à côté de la plaque : le vrai débat est que les anti-psychanalyse d'opinion, utilisent la causalité génétique et biologique, entre autre, pour tenter de discréditer la psychanalyse. Ce qui n'a, effectivement, aucun sens.

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    1. "La psychanalyse ne culpabilise pas les parents." Certes pas directement ni ouvertement, mais c'est toujours très présent. Des milliers de parents peuvent en témoigner.

      "Et que dire de ces parents qui, une fois qu'on leur dit "c'est génétique", se disent : "alors c'est de ma faute"."

      Quitte à choisir, les parents préféreront presque toujours une "culpabilité" génétique à une "culpabilité" sociale ; selon moi, l'incapacité des psychanalystes à se rendre compte de ce fait relève, ou bien d'une "auto-illusion" pour se rassurer quant à la pertinence de leur approche, ou bien d'un symptôme d'une grave déconnexion vis-à-vis de la majorité de la population, ou bien des deux.

      "le vrai débat est que les anti-psychanalyse d'opinion, utilisent la causalité génétique et biologique, entre autre, pour tenter de discréditer la psychanalyse. Ce qui n'a, effectivement, aucun sens."

      Ah bon ? En quoi les découvertes sur les facteurs biologiques de l'autisme ne discréditent pas l'approche psychanalytique ?

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    2. Ah bon, et en quoi ils la discréditent? Ce ne sont que des facteurs...

      Exemple bête : Si vous attrapez la grippe, qu'on vous explique que vous avez choppé un virus, scientifiquement identifié. En quoi ça objecte à se poser la question de pourquoi on l'a choppé? Le médecin s’arrêtera à "vous aviez une faiblesse immunitaire au moment où vous étiez en contact avec le virus". Hasard.
      Cela n'objecte pas à interpréter la raison, dans le cadre d'une discipline sérieuse d'interprétation... et au bout du compte chopper moins de grippes (l'exemple est vraiment simpliste, désolé).
      Ça ouvre la porte à tous les obscurantismes? Certes. Mais ça n'objecte pas à la question et aux efforts pour la résoudre. Et c'est là que, peut-être, qui sait, je n'en sais rien, on s'aperçoit de limites de la science (je ne parle pas d'un manque d'intérêt ou de moyens, mais structurel)?

      Bref, on ne va pas résoudre ces questions ici. Mais objecter les facteurs biologiques à la psychanalyse est idiot.

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    3. Effectivement, parler de psychanalyse au sujet d'une grippe, ça frise le ridicule... Mais même dans le cas de l'autisme, je ne vois pas le rapport, à moins de supposer une causalité tordue (et absolument non prouvée) entre le fait de vouloir des enfants et le fait qu'ils deviennent autistes après. Pas étonnant que les familles se sentent culpabilisées, si on va par là...

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    4. Vous faites donc exprès de n'y rien comprendre?
      Qui se préoccupe donc d'une causalité entre le désir des parents et l'autisme? Vous, à n'en point douter, pour pouvoir accuser les psychanalystes de culpabiliser les parents! Le psychanalyste qui rencontre un autiste n'a que faire de ses parents, si ce n'est pour en savoir plus sur lui, pour mieux le comprendre, vu que les parents le côtoient le plus souvent. Il pourra éventuellement s'enquérir du vécu des parents en contact avec l'enfant, vu que cela peux ne pas être inintéressant pour comprendre l'enfant.
      Tout le reste n'est qu'invention et fariboles pour vous donner à vous-même matière à critiquer la psychanalyse...
      Non, mais ou on a vu qu'il fallait trouver une causalité entre les parents et l'autisme de l'enfant pour que la psychanalyse traite cet enfant? Allo quoi!
      Donc, en quoi les facteurs biologiques objectent à la psychanalyse, je ne vous vraiment pas.
      Peut-être pouvez-vous m'éclairer?

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    5. Ornithorynque consterné29 décembre 2013 à 23:17

      Excusez-moi si je vous ai mal compris, alors... J'ai néanmoins un autre son de cloche de la part des nombreux témoignages que j'ai eu à ce sujet.

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